Interview de Chloé Cazaux Grandpierre

Dans le cadre de la programmation Animasia Hors Les Murs, nous organisons des interviews de professionnels qui participent au rayonnement de la culture japonaise en Nouvelle Aquitaine.

Le but ? Vous faire découvrir leurs activités, leurs parcours, leurs motivations et surtout leurs expériences !

Pour cette interview, nous avons fait appel à Chloé Cazaux Grandpierre, sommelière spécialisée en alcools japonais.

● Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ?

Je suis Chloé Cazaux Grandpierre et je suis made in Bordeaux. J’ai vécu longtemps à l’étranger avant de revenir sur Bordeaux en 2009 et depuis je travaille dans le monde du vin et des spiritueux. Je suis diplômée d’école de commerce et j’ai suivi d’autres formations dans ce domaine passionnant des boissons (DUAD, DipWSET, FWS…). J’ai créé un blog – Chloe&Wines – en 2012 puis la micro-entreprise éponyme en 2013 avant de lancer la SARL C&W EXPERIENCES en 2017. Au sein de ma société, je fais de la formation pour des écoles, j’écris et déguste pour un magazine international, je réalise des wine tours pour de la clientèle étrangère et bien sûr j’ai toute la partie Otsukimi, dédiée au saké et aux alcools japonais.

Chloé Cazaux Grandpierre

Otsukimi est née en 2017. J’ai un site internet pour vendre du saké et des spiritueux (whisky, rhum, gin, shochu, awamori) ainsi que des liqueurs (umeshu, yuzushu…). Je passe à la radio sur France Bleu Gironde deux fois par mois et mes chroniques se retrouvent sur le blog de Chloe&Wines. Je suis active sur les réseaux sociaux et surtout Instagram. J’ai aussi lancé un podcast en début d’année qui s’appelle KOME autour du saké, des boissons japonaises et de la culture gastronomique nippone. Enfin, j’ai écrit un livre qui est sorti en novembre 2023 : 111 Sakés à ne pas manquer, aux éditions EMONS.
En plus de ces activités, je déguste, note et commente des boissons japonaises (saké, bière, whisky, gin, liqueurs…) pour des importateurs, je réalise des conférences, des cours et des formations.

● Quel a été votre premier contact avec le saké, et qu'est-ce qui vous a particulièrement attiré ?

J’avais dégusté du « faux » saké dans un restaurant asiatique… Je n’avais pas été très convaincue par cet alcool.
En 2013, travaillant dans le vin, j’ai fait VINEXPO à Bordeaux et j’ai suivi une masterclass saké. Ça a été la révélation !

J’ai été particulièrement touchée par la diversité des sakés, leurs complexités, leurs philosophies. Il y avait un pont fort entre le saké et le vin que j’ai aimé. Ce sont des produits différents mais ils ont aussi des similitudes. Ce sont des produits culturels forts ayant une forte aptitude à se marier avec la gastronomie.

● Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans l'étude et la dégustation de ces boissons ?

C’est un tout. Le vin ou le saké japonais, c’est passionnant. Il y a l’histoire, la géographie, les paysages, la dégustation en elle-même avec les odeurs, les goûts, les saveurs, les textures, mais aussi les informations culturelles (comment servir ? comment se comporter ? les traditions…), les accords avec la gastronomie, les histoires…

« Ce sont plus que des boissons, ce sont des puis de culture et une façon de rencontrer des gens, d’apprendre, d’échanger. C’est puissant. »

● Quelle formation avez-vous suivie pour devenir sommelière spécialisée en saké ?

J’ai suivi une formation qui s’appelle Certified Saké Sommelier de la Saké Sommelier Association qui est basée à Londres. J’ai ensuite suivi un cours pour devenir Educator. Enfin, en 2020, pendant la COVID, j’ai suivi à distance avec les USA une formation pour être Shochu and Awamori Advisor, autrement dit une formation autour de spiritueux nés au Japon. Ensuite dans mon cursus vin et spiritueux, j’ai fait beaucoup de cours, master class, conférences et obtenu des diplômes dans le secteur des boissons, ce qui renforce mes connaissances dans le saké et les alcools japonais.

● Pouvez-vous nous raconter brièvement l'histoire qui se cache derrière le nom des “Buveurs de Lune” ?

Otsukimi est le nom d’un festival en Asie qui met en avant la pleine lune. C’est la fête de la pleine lune.

Durant Otsukimi, on se met dehors avec ses amis et sa famille et on déguste du saké. Un élément poétique est de mettre sa coupe de saké sous la lune afin de boire le reflet de l’astre !

Mais Buveurs de Lune est aussi un pont avec Bordeaux. Saviez-vous que Bordeaux s’appelle le Port de Lune dû à la forme de croissant de son port ? C’était un moyen pour moi de marier ma position de femme, de mère et mon origine bordelaise avec le saké japonais.

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« La lune représente les moissons de riz futures, le cycle, la grossesse, la générosité, la féminité. Un beau symbole pour une femme dans le monde du saké. »

● Quels sont les principaux critères à prendre en compte lors d’une dégustation de saké et de spiritueux japonais ?

Je pense que le premier critère est le plaisir. Tous les goûts sont dans la nature et l’important est vraiment d’aimer le produit.

Ensuite, si la question porte sur les critères à prendre en compte pour évaluer la qualité d’un saké ou d’un spiritueux japonais, il faut savoir qu’il y en a un certain nombre. La complexité, la longueur (mais attention dans le saké ce n’est pas comme dans le vin, on ne recherche pas des finales longues), l’équilibre et l’intensité sont pour moi des éléments à prendre en compte. Mais là, on parle d’une dégustation professionnelle…

● Quelles sont les erreurs les plus courantes que les gens font lorsqu'ils boivent du saké ou des spiritueux japonais ?

Je pense que pour le saké japonais, l’erreur principale vient du fait que les dégustateurs ne connaissent pas le produit et pensent souvent que c’est un spiritueux. Par conséquent, ils sont en général déçus lorsqu’ils découvrent que leur bouteille est un alcool autour des 15/16% d’alcool qui n’est pas à boire cul sec en fin de repas dans un petit verre avec une femme nue au fond !

Cependant, je ne me formalise pas vraiment sur comment on doit ou pas consommer un alcool. En tant que sommelière, on aime « imposer » des règles : il faut faire cela, boire comme ci, consommer comme ça… Mais la vérité c’est que c’est à vous de créer vos les règles ! Si vous avez envie de boire votre whisky dans un verre à vin avec des glaçons durant le repas, pourquoi pas si cela vous fait plaisir !

Bien sûr, en tant que puriste, on voudrait que la consommation de ces alcools soient réalisées dans les règles de l’art mais l’important c’est que les consommateurs s’approprient le saké et les alcools japonais. Qu’ils les aiment et découvrent petit à petit comment on déguste ces produits.

En revanche, j’attache une importance particulière sur le fait qu’il faille consommer avec modération ! Boire ou conduire, il faut choisir.

● Qu'est-ce qui rend le saké unique par rapport aux autres alcools ?

Le saké japonais est une boisson culturelle. Sa méthode de production est unique et c’est un produit versatile qui est incroyable.

Imaginez : un repas avec un seul saké mais servi à différentes températures pour une expérience gastronomique bouleversante. Avec une entrée à base d’asperges, le saké tiède dans une verrerie traditionnelle. Avec le plat sur du poisson et des champignons, le saké chaud dans des petits verres en céramique ayant une certaine texture. Enfin, avec un dessert sur les agrumes, le même saké servi froid dans un verre à vin.

1 saké, 3 températures, 3 verreries, 3 accords, 1 expérience hors du commun ! C’est tout cela qui rend le saké si particulier par rapport aux autres boissons.

Crédits : Roger Savry

● Avez-vous des exemples d'accords mets – saké qui se complètent particulièrement bien ?

Le saké japonais est un serviteur de la nourriture. Contrairement aux vins, il n’est pas là pour faire des mariages de saveurs mais pour exhauster le goût des aliments.

Le saké japonais se déguste particulièrement bien avec des huîtres et avec des asperges dont cela va bientôt être la saison.

● Quelle est selon vous la meilleure harmonie possible entre le saké ou un spiritueux japonais et un plat ?

L’harmonie, c’est subjectif mais je dirai qu’un saké Junmai Daiginjo avec un plateau d’huîtres, c’est frais, c’est simple, c’est délicieux !

Alcools japonais

● Comment le saké est-il perçu au Japon ? Et en quoi est-ce différent de la France ?

Curieusement, le saké est considéré comme un alcool « de vieux ». Un peu comme certains alcools que nous avons en France et qui sont apanage de l’ancienne génération. Le saké est un peu en désamour, avec 1400 lieux de production dans tous le Japon. En comparaison, si je peux m’exprimer ainsi, il y a 7000 propriétés viticoles à Bordeaux.

Cependant, à l’export, le saké a un succès fulgurant : les États-Unis sont les premiers consommateurs mondiaux. Et on voit la multiplication de lieux de production en dehors du Japon. Par exemple, mon petit doigt m’a dit qu’il y allait avoir bientôt deux lieux de production à Bordeaux ! 😉 Nous en avons actuellement 4 en France sur tout le territoire.

De plus, en France, les sommeliers des restaurants étoilés sont très attirés par le saké japonais et les bartenders sont aussi curieux envers le shochu et l’awamori qui sont des spiritueux japonais. Le saké a sa place dans de grands restaurants étoilés et il se développe petit à petit.

Saké

● Comment a-t-il réussi à gagner en popularité et à s'établir sur le marché du vin, malgré la concurrence ?

Le saké et le vin sont deux produits différents. Ils sont des points communs certes mais l’un ne peut pas remplacer l’autre. Pour moi, ce n’est pas le saké ou le vin mais bien le saké et le vin.

Le saké a gagné en popularité parce que c’est une boisson culturelle forte et que le Japon est passionnant. En France, la culture japonaise est cool ! Manger des sushis, porter un kimono, faire du karate, apprendre la calligraphie, boire du thé vert, confectionner des mochis… tout ça, c’est cool ! Avec le saké japonais c’est pareil et en plus, on est en lien avec la gastronomie !

Vin

Tout le monde aime manger ! De plus, cela fait plus de 10 ans que je travaille dans le domaine du saké japonais : j’ai fait, tout comme mes collègues, beaucoup de conférences, de dégustations, de cours, d’initiations pour les particuliers mais aussi beaucoup pour les professionnels. En partageant « la bonne parole », on ne peut que rendre un produit populaire. Mais il faut du temps, de la persévérance et de la patience !

● Selon vous, quels sont les facteurs qui contribuent à la popularité croissante du saké en dehors du Japon ?

Les facteurs qui contribuent à la popularité du saké sont nombreux :

  • L’augmentation de la communication auprès du grand public,
  • La diversité des évènements autour du Japon,
  • La sortie d’ouvrages sur le sujet en français,
  • L’apparition du saké sur les cartes des restaurants ou dans les cocktails des bars,
  • Les sommeliers qui se forment…

● Savez-vous comment la réputation d’alcool fort s’est-elle développée dans la représentation que l’on se fait du saké ?

Le terme « saké » est un terme générique qui signifie alcool blanc, alcool clair. Par conséquent, c’est un terme « fourre-tout ». Si on le prend vraiment au pied de la lettre, le gin est un saké ! Le rhum est un saké ! La vodka est un saké ! Et donc tous les alcools clairs sont des sakés.

Cela a apporté de la confusion car dans les restaurants asiatiques, en fin de repas, il est de coutume d’offrir un verre de « saké » dans un petit verre (avec souvent une femme nue au fond !). Or, c’est bien du saké, un alcool blanc venant d’Asie : peut-être de Chine, peut être d’ailleurs. Mais ce n’est pas du 日本酒 (« nihonshu »), qui est le nom officiel du saké japonais. C’est de là que vient la confusion.

Pendant de nombreuses années, voire des siècles, le 日本酒 (nihonshu) a été le seul alcool du Japon. Les spiritueux comme le shochu et l’awamori sont vieux mais plus récents que le saké japonais. Par conséquent, l’utilisation du terme saké pour nihonshu était normale. C’est une indication géographique récente qui encadre l’origine du saké japonais.

Enfin, je rajouterais que cette confusion a été négative pour le saké japonais mais aussi pour tous les alcools asiatiques. En France, nous avons une multitude d’alcools. Parfois ils sont bof bof mais souvent ils sont délicieux. C’est pareil en Asie ! Et voyez la taille de la Chine ! Chaque village fait un alcool… comme nous en France. Il y a des merveilles et nous allons bientôt les voir arriver sur nos marchés; ils méritent d’être connus.

Ca ne peut pas plaire à tout le monde, tout est une question de goût, mais il est important de dissocier le « je n’aime pas » de « ce n’est pas bon » !

● Et enfin, quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite découvrir le saké et les spiritueux japonais ?

De mon contacter bien sûr !

Plus sérieusement, de ne pas hésiter à suivre un cours, aller à des événements comme Animasia, à prendre contact avec des professionnels pour obtenir des conseils, déguster (avec modération), aller dans des restaurants avec des sakés pour faire des beaux accords et pourquoi pas partir au Japon un jour pour vivre l’expérience nihonshu sur place !

Pour conclure

Merci à Chloé Cazaux Grandpierre d’avoir répondu à nos questions !
Sommelière spécialisée en alcools et spiritueux japonais, Chloé partage sa passion et ses connaissances avec toute personne intéressée. Alors si vous souhaitez en savoir plus sur le sake japonais, n’hésitez pas à faire un tour sur le site internet d’Otsukimi !